DOCERE

Marc-Édouard Nabe

« Une conversion n'a pas à être spectaculaire. On ne passe pas en un instant de la vie mortelle à l'éternité vivante : les soufis le savent bien. Il y a, entre le dégrisement et le ravissement, sept cent mille voiles que toute une vie ne suffit pas forcément à arracher. « J'étais cru puis j'ai été cuit, et je suis consumé », enseigne le derviche tourneur. Le temps de la cuisson : voilà ce qu'est la vie. En tournant, les derviches ne font que prêter leur viande magnifique à la vive flamme, comme des brochettes d'amour. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 13

« La pratique religieuse est conçue pour pourchasser l'âme. Chaque prière la traque, les sacrements l'acculent. La vie d'un chrétien est une chasse à l'âme. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 14

« L'humanisme, c'est la dictature de l'homme. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 15

« Le divin ne se montre jamais autant et aussi bien que lorsque Dieu apparaît dans toute Son absence. La vie est pleine de ces trous de Dieu, ces gouffres d'horreur où il est flagrant que Dieu n'est pas. Quelque chose de divin se passe quand Dieu manque. Non pas souffrir de l'absence de Dieu mais s'extasier devant cette absence comme devant un dieu. Quand on commence à comprendre que ne pas croire en Dieu et sentir Son absence sont deux choses diamétralement opposées, on est un autre homme. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 16

« Je plains ceux qui n'ont pas découvert par eux-mêmes ce courant souterrain, bouillant, occulté, qui traversa les deux cents ans de République libérale, et par lequel, de Joseph de Maistre (né en 1753) jusqu'à Jacques Maritain (mort en 1973), une électricité mystique passe d'homme en homme, pour ne pas dire de saint en saint. On nous les a bien cachés, ces types-là. En les lisant, en les méditant, en les mastiquant, on comprend pourquoi : ils sont tous diaboliquement chrétiens. Leurs messages, tous différents et complémentaires, répondent à toutes les questions que peut se poser un homme qui refuse deux siècles de bien-pensance (d'une révolution à son bicentenaire) pour mieux recevoir la Vérité éternelle transportée cahin-caha comme de la nitroglycérine par les témoins du dernier âge. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 18

« C'est à pleurer de nous voir si loin des saints et des prophètes. Le christianisme a cette cruauté insupportable, celle d'avoir fait ses preuves. Dans Dieu, comme dans le cochon, tout est bon. Suivez les pointillés, choisissez le morceau qui vous convient : sacrement, prière, théologie, eucharistie, mystique, papologie, mortification, spiritualisme, antéchristianisme même, tout est possible, c'est la liberté, la vraie, pas celle qui pue le libre arbitre et les droits de l'homme, la liberté intérieure, enfermée en nous comme le ciel dans une église spacieuse. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 21-22

« Le lyrisme de l'homme qui croit croît avec sa tragédie personnelle. Il y a quelque chose de tragique dans la joie de croire en autre chose qu'en soi. On parvient à gagner jusqu'à l'estime de ses propres organes. Mon pancréas me respecte quand je prie, mon foie a envie de m'embrasser quand je ne me prends plus pour Prométhée. Je suis libre, libéré de toutes les libertés, libre d'être encore plus libre, libre à moi de devenir un ange, libre à l'ange de se souvenir qu'il était moi! »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 22

« Quelqu'un qui ne traverse pas les grands mystères chrétiens vit ce monde sans jamais le saisir, il est à côté. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 25

« Je ne louperai pas un dimanche pour tout l'or du ciel. Oui : je vais à la messe tous les dimanches. Ce n'est pas une coquetterie. Je me sens bien au milieu du troupeau dans n'importe quelle église au hasard de mon humeur ou de mes voyages. En quelques dimanches, j'ai déjà vu bien des messes différentes. J'en observe les récurrences, j'en étudie les variations, je ne m'en lasse pas. C'est le spectacle le plus antispectaculaire de tous les temps. Dominicalement renouvellée, cette séance de magie rythme désormais mon existence. J'ai beaucoup réfléchi avant de m'y vouer, j'ai approché l'Église pendant des années, j'ai rôdé alentour, j'ai piétiné sur le seuil et puis je me suis décidé. Croire viendra bien assez tôt, c'est pratiquer qui compte. Aucune foi ne résiste à la pratique qui la caresse dans le sens du poil. Infatigablement, les sacrements masturbent la foi jusqu'à ce qu'elle soit prête à recevoir l'homme. Je ne conçois pas la religion sans une pratique assidue, ferme, pénétrante. Comme je dis souvent, au milieu de tous ces « croyants non pratiquants », j'ai réussi à devenir le seul « pratiquant non croyant » de ma connaissance. J'ai la charité de laisser croire au plus grand nombre qu'il s'agit d'une boutade. Pratiquant non croyant, voilà encore un bel exemple de mon humilité. Je ne me sens pas assez orgueilleux pour affirmer que je crois. J'aimerais bien la voir à l'œuvre la foi de ces pseudo-croyants qui se passent allégrement de toute pratique religieuse. Moi au moins je pratique, de mon mieux, pour croître dans la foi. Je pense que c'est plus honnête. C'est en mourant qu'on a vraiment la foi, avant on chasse le doute comme on peut, comme une mouche agaçante. Se passer d'aller à l'église quand on se dit croyant peut être considéré comme un péché. Mes hérésies valent bien ce péché-là. Je suis pratiquemment croyant. J'avance c'est tout, de dimanche en dimanche, grâce à cette messe dans laquelle je me jette vers 11 heures, comme dans une piscine ténébreuse et tiède. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 33-34

« Les églises aujourd'hui sont bien astiquées et ferment à sept heures du soir, c'est une honte. Il ne faut pas s'étonner qu'une société, assez lâche pour créer des restaurants du cœur, n'ait pas la force de conserver à ses églises leur véritable fonction moyennâgeuse de moulin à vent de Dieu, que chacun, à toute heure, pourrait venir envahir et souiller de ses mille douleurs dans la paille et le vacarme, arpenter nerveusement les travées et se perdre dans « le désert des chaises », au milieu des prières et des rires dans les pénombres, des messes basses et des conclaves de clodos. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 41

« Réciter un Je vous salue Marie, ce n'est pas réciter n'importe quoi. Je déteste les prières inventées, confectionnées sur mesure, par de vieux gosses qui ont toujours quelque chose à demander à leur maman ou à leur papa. Je ne « demande » rien quand je prie : je rends grâce. L'Ave Maria salut la Vierge. Je suis pour le minimum de prières. Deux suffisent, un Notre Père et un Je vous salue Marie. « La clé du matin », et « le verrou du soir », comme dit Gandhi. Ce n'est pas du luxe, il suffit de les répéter inlassablement. C'est en forgeant sa prière qu'on devient forgeron de sa foi. Le Je vous salue Marie est l'ancre qui fixe le navire dans le Port de la Joie, et la chaîne de cette ancre est son rosaire. Égrenons la chaîne qui nous relie aux profondeurs de la Vérité, la chaîne bien présente, réelle, au fond de ma poche, le scapulaire enfoui dans mon pantalon, l'instrument parfaitement étudié pour m'extraire du cœur des dizaines d'Ave Maria indispensables à la fortification de ma foi in progress, le rosaire aux mille roses pour Marie la Rose. Le tiers du rosaire (le chapelet) suffit à faire entrer la Vérité en transe. Le chapelet, quelle gifle au goût public! Joyeux, douloureux, glorieux : tous les Mystères sont bons! »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 55

« En se divinisant, l'homme se diabolise. Le Diable se montre quand l'homme se prend pour Dieu. »

— Marc-Édouard Nabe, L'âge du Christ, éd. du Rocher, p. 105